"Que le cinéma aille à sa perte, c'est le seul cinéma.
Que le monde aille à sa perte, qu'il aille à sa perte, c'est la seule politique."
Marguerite Duras, Le Camion
Cet ouvrage recueille, pour la première fois, un ensemble de textes et d'entretiens de Marguerite Duras, la plupart inédits ou difficiles d'accès, autour des dix-neuf films qu'elle a réalisés des années 1960 à la fin des années 1980. Depuis La Musica jusqu'aux Enfants, en passant par India Song, Le Camion ou Le Navire Night, Marguerite Duras a rédigé des textes pour des dossiers de presse, des notes de tournage et des déclarations d'intention, des commentaires et des réflexions sur ses écrits, ses films et sur la situation du monde et du cinéma. Pour Marguerite Duras, tout est écriture, d'un bref entretien, d'un commentaire de film au roman, à la pièce de théâtre ou radiophonique, jusqu'au film lui-même.
Face à Giacometti, et aux côtés de l'artiste, Jacques Dupin le fut souvent, qui lui rendit visite chaque semaine pendant treize ans. De cette amitié sont issus des textes, ici réunis pour la première fois, qui accompagnent et prolongent l'oeuvre.
Portraits d'un artiste au travail par un poète dont l'écriture éprouve la même exigence, les mêmes tourments, le même surgissement d'une présence séparée.
Giacometti est l'exemple type de l'artiste aux prises avec les difficultés de la création.
À la fois dessinateur, peintre et sculpteur, il a édifié l'essentiel de son oeuvre au cours des vingt dernières années de son existence.
Bien que tragique, sa vision de l'homme n'a rien de désespérée. Ses portraits aux regards effarés et qui interrogent, ses sculptures filiformes expriment certes notre solitude, la douleur d'être, la précarité de notre condition, mais ils affirment aussi avec autorité que la vie est finalement plus forte que tout ce qui la ronge et cherche à l'abattre.
Dans la joie du voyage, le plaisir du flash-back et des remontées en surface, Yann Dedet, monteur, revient ici sur cinquante ans de carrière et une bonne centaine de films. Avec un sens unique du détail, mais attentif aux grandes lignes, il se rappelle ses collaborations au long cours avec Truffaut, Stévenin, Pialat, Garrel, Poirier et tous les autres. Pourquoi n'avoir jamais monté plus d'un film avec la même réalisatrice ? Comment oublier le scénario et regarder le film en fac ? Qu'est-ce qui fait du monteur un psychanalyste d'occasion, un amant passager et un philosophe platonicien ? Et quel étrange syndrome pousse les cinéastes à lui demander des plans qu'ils n'ont pas tournés ? Dans cette seconde chambre obscure, le gardien ultime de la mémoire parvient-il toujours à retrouver le rêve du film ?
Entretiens avec Julien Suaudeau, romancier, collaborateur à Positif et réalisateur de plusieurs films. Il enseigne à Bryn Mawr College, non loin de Philadelphie.
Emmanuelle André - Jacques Aumont - Paul Aymé - Raymond Bellour - Bernard Benoliel - Anne Bertrand - Damien Bertrand - Christa Blümlinger - Jacques Bontemps - Gabriel Bortzmeyer - Nicole Brenez - Érik Bullot - Mathieu Capel - Amadis Chamay - Serge Daney - Pierre Eugène - Jean-Paul Fargier - Harun Farocki - Hélène Frappat - Jean-Michel Frodon - Oliver Fuke - Hervé Gauville - Yervant Gianikian - Matthieu Gounelle - Philippe Grandrieux - Marie Anne Guerin - Ryûsuke Hamaguchi - Shiguéhiko Hasumi - Vinzenz Hediger - Nicolas Helm-Grovas - Radu Jude - Friedrich Kittler - Alexander Kluge - Romain Lefebvre - Mathieu Macheret - Catherine Malabou - Eva Markovits - Kira Mouratova - Laura Mulvey - Raphaël Nieuwjaer - Jacques Rancière - Mark Rappaport - Clément Rauger - Bert Rebhandl - Judith Revault d'Allonnes - Jacques Rivette - Jonathan Rosenbaum - Peter Szendy - Noah Teichner - Antoine Thirion - Marcos Uzal - Amos Vogel - Peter Wollen - Dork Zabunyan - Eugénie Zvonkine.
Harun Farocki, né en 1944 à Neutitschein (aujourd'hui Novíý Jicín en République tchèque), a réalisé des films et des oeuvres audiovisuelles depuis la fin des années 60 et des installations depuis 1995 (soit plus d'une centaine d'oeuvres). De 1962 jusqu'à sa mort en 2014, il a vécu à Berlin, comme cinéaste, essayiste, enseignant et artiste.
Dans son oeuvre critique et rigoureuse, Harun Farocki aimait décortiquer le travail des média, des films et des machines de vision, mais aussi étudier celui des artisans, des ouvriers et du monde commercial. Depuis le milieu des années 1960 jusqu'à sa mort en 2014, tout au long de sa vie de cinéaste, d'essayiste et d'artiste, il a analysé les dispositifs des images photographiques et post-photographiques, leurs régimes d'affection et de signification.
C.B.
Mai 68 a été une immense prise de parole dans toute la société française, entre étudiants et ouvriers, entre jeunes et vieux, entre femmes et hommes. On a parlé de tout, de tout, de tout, de la politique comme de la sexualité, des revendications comme des désirs, et ce mouvement culturel qui contestait la société capitaliste marchande dans son ensemble et dans ses détails nous a légué des outils pour penser aujourd'hui, et d'abord, pour continuer d'explorer la parole : pourquoi parler, comment parler, un dialogue, c'est quoi.
Quelque chose est en cours. Je sens bien qu'on prend le train en marche, que les trois qui sont là ont dû se parler avant qu'on ne commence à les entendre. Marceline s'affiche en brune dans le noir et blanc. Dans quelques secondes, elle va entrer en cinéma, s'avancer de son corps, de sa voix, vers la mise en scène d'une effraction de l'histoire. Ses bras nus portent un message à peine visible : un matricule bouleversant, qui fait intrigue pour ceux qui la filment en ce 16 mai 1960. Cette histoire rapprochée du film d'ethnographie parisienne Chronique d'un été (Jean Rouch, Edgar Morin, 1960) reconstitue la fabrique d'un personnage féminin qui n'eut pas "les quinze ans de tout le monde". En intriquant intimité et collectivité, décors naturels et sites fantomatiques, hier et aujourd'hui, je suis partie à la recherche de ce que l'écran condense du manque et de ce que les archives déplient du temps - le temps d'apprendre à styliser et à dire. Apparaît ainsi, d'entre les pages, la silhouette prémonitoire d'une contemporaine, artiste et témoin de la Shoah.
«Ce livre cherche à mieux comprendre ce qu'est un spectateur de cinéma, un corps de spectateur pris dans le corps du cinéma. On y mène d'abord une comparaison, classique mais jamais éclairée, entre le cinéma et l'hypnose - cet état énigmatique, intermédiaire entre la veille, le rêve et le sommeil. Ressaisie dans l'histoire des dispositifs de vision dont l'hypnose participe, depuis la fin du XVIIIe siècle, cette vue du cinéma comme hypnose s'engage dans trois directions : une analogie de dispositifs ; une interprétation métapsychologique ; la réévaluation contemporaine de l'hypnose stimulée par la recherche neurobiologique. Le parti pris essentiel de ce livre suppose une équivalence entre l'état de cinéma compris comme hypnose légère et la masse des émotions éprouvées au cours de la projection d'un film. Mais plutôt que des émotions conventionnelles, de nature psychologique, il s'agit des émotions premières que Daniel Stern a nommées des affects de vitalité : les réactions sensibles induites chez le tout petit enfant par la construction corporelle et psychique de son expérience, qui sont autant de signes précurseurs du style dans l'art. De ces émotions sans nom, aussi variables que toujours recommencées, le cinéma semble par excellence être le lieu, lui qui se donne, dans ses films authentiques, pour la réalité faite art. Enfin, ce corps d'hypnose et d'émotion est aussi un corps animal. Part d'animalité de l'homme, tenant au mouvement, au plus élémentaire du corps affecté. Dès sa conception et sans cesse au fil de son histoire le cinéma s'est voué à la figuration animale. On la cerne ici à travers le cinéma américain où l'animal, entre pastoralisme et «wilderness», occupe une fonction anthropologique première ; et dans des oeuvres du cinéma moderne européen, d'où ressort une vision plus ontologique. Ce livre est largement conçu à partir d'analyses de films. On cherche à ressaisir le film dans son détail le plus intime, là où, de micro-émotions en émotions plus vastes, sans cesse il se construit. Le choix des films a été aussi divers que possible, dans l'histoire comme dans la géographie du cinéma : des films Lumière aux oeuvres du cinéma moderne et contemporain, en passant par le cinéma classique et le cinéma expérimental ou d'avant-garde. On aimerait avoir ainsi touché le coeur du cinéma. Quelques auteurs surtout ont inspiré cette approche : pour l'hypnose, Lawrence Kubie, Sigmund Freud, Léon Chertok et François Roustang ; pour le développement de l'enfant et la neurobiologie, Daniel Stern et Antonio Damasio ; pour la pensée et la critique du cinéma, Gilles Deleuze et Serge Danay.» Raymond Bellour.
"Une nuit, par hasard, je vis à la télévision quelques minutes d'un film inconnu qui firent sur moi une impression très forte et durable. Identifiant ce film une dizaine d'années plus tard, et retrouvant à sa vision quelque chose de l'émotion qui s'était emparée de moi la première fois, j'eus peu à peu la conviction qu'en essayant de comprendre quelle pouvait bien être sa nature exacte j'allais peut-être éclaircir ce qui faisait à mes yeux toute l'importance et la spécificité du cinéma. C'est ainsi qu'est né ce livre : récit détaillé d'une expérience concrète, il tente d'expliciter pourquoi une apparition - celle de Rose Hobart dans une scène de Liliom de Frank Borzage - fut à ce point bouleversante et éclairante."
Jean Paul Civeyrac.
"J'essaie peut-être de dire une chose impossible : être où je ne suis pas, parler avec les morts, aimer une inconnue. J'essaie, penché sur l'image, de fixer le point où la fiction prend corps.
Des histoires liées à la photographie, au cinéma, à des images qui hantent la mémoire ; des récits en train de s'écrire, des enquêtes en train d'être menées, des scènes en train de se filmer ; des études de cas : Antonioni, Gus Van Sant, Chris Marker, Giacometti, Stendhal, Duras...
Au fond de toute image, de tout récit, il s'agit avant tout de saisir l'absence, d'écrire la disparition."
Bertrand Schefer.
Accompagner un film, c'est se tenir dans sa compagnie. Et ainsi, sans même le suivre pas à pas, ce qui est de toute façon illusoire, en figurer au moins une manière d'utopie grâce à la proximité marquée envers tels ou tels de ses moments, tels de ses traits les plus saillants. Afin que se révèle une prégnance du détail attestant l'intensité de la capture dont le spectateur a été la proie et qu'il essaie de rendre au fil de l'argumentation, de l'évocation qui lui paraît propre à servir le caractère unique, la valeur, le génie du film auquel il a choisi de s'attacher.
Robert Wise, Jacques Tourneur, Ritwik Ghatak, Roberto Rossellini, Satyajit Ray, Jean-Claude Biette, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Chantal Akerman, Claude Lanzmann, Gus Van Sant, Ingmar Bergman, José Luis Guerín, Benoit Jacquot, Stephen Dwoskin, Avi Mograbi, Philippe Grandrieux, Alfred Hitchcock, John Ford, Vincente Minnelli, Federico Fellini, Chris Marker, Harun Farocki, Paul Sharits, Max Ophuls, Fritz Lang - tels sont ici, dans leur ordre d'apparition, les principaux cinéastes dont les films ont suscité pour l'auteur autant d'émotions que de questions propres au cinéma.
- Dites-moi au moins l'argument de la querelle.
- Oh! il est si simple qu'il paraît pauvre face à tant de points de vue qui aménagent plus ou moins une dilution du cinéma dans l'art contemporain, et son histoire à l'intérieur de l'histoire de l'art. La projection vécue d'un film en salle, dans le noir, le temps prescrit d'une séance plus ou moins collective, est devenue et reste la condition d'une expérience unique de perception et de mémoire, définissant son spectateur et que toute situation autre de vision altère plus ou moins. Et cela seul vaut d'être appelé cinéma.
- Vous ne suggérez tout de même pas une primauté de l'expérience du spectateur de cinéma sur les expériences multiples du visiteur-spectateur des images en mouvement de l'art dont on tend à le rapprocher ?
- Évidemment non. Il s'agit simplement de marquer qu'en dépit des passages opérant de l'une aux autres et inversement, ce sont là deux expériences trop différentes pour qu'on accepte de les voir confondues. On n'oblige personne à se satisfaire de la vision bloquée de la salle de cinéma. Ce désert de Cameraland, disait Smithson, ce coma permanent. On peut préférer la flânerie, la liberté du corps et de l'esprit, la méditation libre, l'éclair de l'idée. On peut aussi, comme Beckett, se sentir mieux assis que debout et couché qu'assis. Simplement, chaque fois cela n'est pas pareil, on ne sent ni on ne pense vraiment les mêmes choses. Bref, ce n'est pas le même corps. D'où la nécessité de marquer des pôles opposés pour mieux saisir tant de positions intermédaires.
Les essais rassemblés dans ce livre, écrits entre 1999 et 2012, évoquent parmi d'autres les artistes et cinéastes Eija-Liisa Ahtila, Chantal Akerman, Zoe Beloff, James Benning, Dara Birnbaum, Jean-LLouis Boissier, Janet Cardiff et George Bures Miler, Hans Castorf, David Claerbout, James Coleman, Pedro Costa, Harun Farocki, Masaki Fujihata, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, Douglas Gordon, Pierre-Marie Goulet, Philippe Grandrieux, Gary Hill, Alfredo Jaar, Ken Jacobs, Rinko Kawauchi, Thierry Kuntzel, Fritz Lang, Chris Marker, Cildo Meireles, Jonas Mekas, Avi Mograbi, Antoni Muntadas, Max Ophuls, Tony Oursler, Pipilotti Rist, Doug Aitken, Tania Ruiz Gutiérrez, Sarkis, Shelly Silver, Robert Smithson, Michael Snow, Beat Streuli, Sam Taylor-Wood, Eulalia Valldosera, Danielle Vallet Kleiner, Agnès Varda, Bill Viola, Jeff Wall et Apichatpong Weerasethakul.
Cher Paul
Au cinéma avec Paul Otchakovsky-Laurens
par Valérie Mréjen
« Étranges figures » du cinéma français par Marie Anne Guerin
Personnages en quête de lumière. En attendant les barbares d'Eugène Green
par Paul Choquet
Les fantômes de Yamagata par Clément Rauger
Éloge d'Agnès Varda par Christa Blümlinger
Éloge de la curiosité. Agnès Varda par António Preto
Les vivants et les morts. Marker, Resnais et Les statues meurent aussi
par Sam Di Iorio
Un film sauvé par l'amour. Son chemin d'Alexandre Chtrijak
par Irène Bonnaud
Un ange, des diables. Une fois, la nuit de Boris Barnet
par Fabrice Revault
L'arche de Noé, 2. Arènes sanglantes de Rouben Mamoulian
par Hervé Gauville
Slave to love. Trois tyrans par Mathieu Macheret
La menace étrangère par Josef von Sternberg (présentation par Janet Bergstrom)
Filmer une pensée. The Salvation Hunters de Josef von Sternberg
par Janet Bergstrom
Quatre plans sur vingt-quatre par Raymond Bellour
Fleurs de tragédie. Le pathos ornemental de Sternberg/Dietrich par Olivier Cheval
Dr. Sternberg & Mr. Mamoulian par Gaspard Nectoux
La collection particulière de Josef von Sternberg par Théo Esparon
L'Année dernière à Marienbad. Essai d'interprétation par Geneviève Bollème
Gaël Lépingle, La Nouvelle Vague, arme et bagage. À genoux les gars d'Antoine Desrosières et Marguerite et Julien de Valérie Donzelli
Mariano Llinás, Nos démons
Fernando Ganzo, El Pampero à l'heure de La flor
Claire Allouche, Martín Rejtman, le tact du désespoir
Gabriela Trujillo, L'attente comblée par l'attente. Sur Zama de Lucrecia Martel
Érik Bullot, Synchronies discrètes. Notes sur le Journal de Raúl Ruiz
Antony Fiant, «L'histoire du dernier des hommes devenu un roi». André Robillard vu par Henri-François Imbert
Henri-François Imbert, André Robillard, en chemin. Journal de montage
Jacques Bontemps, Amanda, le hasard et la fragilité. Amanda de Mikhaël Hers
Raymond Bellour, Photo, cinéma, cinéma, photo - mouvements de Ross McElwee
Jean-Louis Comolli, Les Coréennes de Chris Marker
Gilbert Cabasso, Les Âmes mortes de Wang Bing
Jonathan Rosenbaum, The other side of the argument. Premières réflexions sur la fugue démoniaque d'Orson Welles
Hervé Gauville, L'arche de Noé, 6. Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson
Marie Martin, Adapter Melville, porter son ombre
Sarah Ohana, Les personnages pointillés
Jean-François Chevrier, La disparition comme forme biographique. Lettre à Damien Odoul
À la fois essai, poème, fiction, récit historique, traité sur l'art, philosophie de la mimêsis, les Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard ont une logique multiple, qui les stratifie. Parler de ce film, c'est, ou bien le continuer (et en un sens, le refaire), ou bien le déplier, en distinguer les logiques superposées et concurrentes, y discerner les auteurs confondus en un auteur, les discours confondus en un discours. La sympathie, certaine et profonde, n'a pas été ici confondue avec l'empathie : partant de l'ébranlement qu'a provoqué cette oeuvre, on a tâché de le prolonger et de l'amplifier, sans chercher à en donner l'analyse exhaustive, encore moins le commentaire suivi. Plutôt, appliquant à ces films la méthode même qu'ils ont inventée, les traverser, saisir les mythes qui les fondent et qu'ils refondent, y reconnaître quelque chose d'une tradition critique, se les approprier. Cet objet aimé qui, pour tant d'entre 'nous', a eu nom Cinéma, était aussi, le savions-nous?, une puissance de mémoire. Ce que Godard nous aide à vérifier, c'est que la mémoire suppose l'oubli : c'est à cela même, à rien d'autre, qu'a servi cette espèce de chose qu'on a appelée la fiction. L'amnésie est ici la position minimale à partir de laquelle on peut évoquer ce fantôme, et ses puissances.
Amour, gloire et CAC 40? Une tentative de rapprochement entre un certain nombre d'interrogations esthétiques et le contexte historique dans lequel elles s'inscrivent. Sortir les propositions artistiques contemporaines de leur histoire spécifique (l'histoire de l'art et du cinéma) et les articuler sur les questions que posent certaines mutations récentes de nos sociétés. De toutes les questions qui ont hanté les années quatre-vingt-dix, certaines semblent aujourd'hui constituer un véritable enjeu, tant sur le plan esthétique que sur le plan anthropologique, politique et social : comment penser d'autres modes d'inscription symbolique, d'autres formes de représentation? Comment traduire en expérience les événements auxquels nous sommes supposés participer? Comment se représenter dans une Histoire qui semble désormais s'écrire en termes économiques et boursiers? Comment réduire la distance entre l'Histoire telle qu'elle nous est transmise (la croissance ou le CAC 40) et les événements qui rythment mon quotidien (l'emploi du temps)? Comment se représenter ici et maintenant? Comment se projeter? Beaucoup de questions, comme on le voit, fondamentales.
Il y a plusieurs âges de la peinture dans la fresque. Ce Déluge d'Uccello retient une énigme. Le problème de l'espace et de la construction perspective y est étrangement anachronique par rapport à ce qu'est ici la solution de la figure : une grande métonymie des états de mouvement dans un espace stéréoscopique ; la figure ainsi comprise comme corps y est débordée par une inconnue de référence et d'emploi dans le 'mazzocchio'. La couleur découpe des unités, non des détails : elle est faite d'un grain plus gros que les corps. Un des niveaux de lecture est sans doute celui qu'impose une sorte d'avancée fantomale du corps de la mythologie, non de ses figures. Ce livre est mis en scène par des passages de peinture (des passages écrits, des sortes d'animaux) qui prennent appui sur les deux bords opposés de ce Déluge : la division des corps dans l'eau et l'objet le plus résistant (le module refermé de construction des figures).
Que le cinéma reste irréductiblement affaire de plans et non d'images, malgré la pente générale du tout-à-l'image contemporain, semble une cause entendue même des plus rétifs à la logique toujours paradoxale de cet art, bien à part, du présent. Mais que cette affaire se noue également entre les plans, dans leurs interstices et leurs intermittences, autant que dans l'expérience faussement rassurante de leur enregistrement, et comme à contre-image, pour y souffler des puissances insoupçonnées d'absence ou simplement y faire scintiller un peu de temps à l'état pur, voilà qui méritait sans doute, au-delà des seules questions de montage, d'aller y voir de plus près, jusque dans les détails de prime abord les plus insignifiants des films. Ces derniers ne sont jamais indifférents, surtout quand, par-delà les genres et les époques, ils ont comme auteurs des voyageurs de l'intervalle aussi attentifs aux choses que, mettons, Murnau ou Vigo, Ford ou Walsh, Hitchcock, Lang ou Tourneur, pour revenir aux Anciens, Antonioni ou Godard, Wenders ou Douglas, Snow ou Mekas, pour s'en tenir aux Modernes, et qu'on les parcourt à l'aide de boussoles aussi diverses et sensibles que les pensées de Benjamin, Agee ou Daney. Et peut-être s'apercevra-t-on alors que s'il n'y a littéralement rien à voir dans chacun des moments, pris séparément, d'ellipse du récit, d'éclipse de la représentation et d'exil du sujet où paraît vaciller le sens des films, tous ces passages à vide dessinent ensemble, en filigrane des oeuvres, l'articulation première qui fait inlassablement tourner la roue des plans. Ils sont, à leur manière, l'Orient du cinéma.
L'écran, l'écrit :
Collectifs, Voir, lire, écrire (nos vingt-cinq ans)
Jean Louis Schefer, Lettre
Jacques Aumont, Dialogue d'ombres (Bonjour Cinéma de J. Epstein)
Leslie Kaplan, My Manhattan Transfer (Manhattan Transfer de J. Dos Passos)
Frédéric Sabouraud, Dionysos au bal du plan quinquennal ('Instructions provisoires aux cercles "Ciné-oeil"' de D. Vertov)
Jean-Louis Comolli, Un avenir sans illusions? (L'Avenir d'une illusion de S. Freud)
Pierre Gabaston, En verve ('Esquisse d'une psychologie du cinéma' d'A. Malraux)
Bernard Eisenschitz, Le film de papier (Images du cinéma français de N. Védrès)
Hervé Gauville, Journal d'un film (La Belle et la Bête. Journal d'un film de J. Cocteau)
João Mário Grilo, Monologues du cinéma ('A Course in Treatment' de S.M. Eisenstein)
Patrice Rollet, Contingence du cinéma ('Comme dans un bois' d'A. Breton)
Raymond Bellour, Flash-back (Le Surréalisme au cinéma d'A. Kyrou)
Luc Moullet, Truffaut et la tradition de la qualité ('Une certaine tendance du cinéma français' de F. Truffaut)
Dominique Païni, Une constellation 'miraculeuse'. Rivette-Rossellini-Matisse-Langlois ('Lettre sur Rossellini' de J. Rivette)
Youssef Ishaghpour, Le cinéma projette (Le Cinéma ou l'Homme imaginaire d'E. Morin)
Jean Narboni, L'artifice en nature ('Montage interdit' d'A. Bazin)
Jacques Bontemps, Une double rencontre ('Finesse et géométrie' de C. Ollier)
Jean-Paul Fargier, L'amen au Collet (Jean-Luc Godard de J. Collet)
Sylvie Pierre Ulmann, Un texte dans ses histoires ('Cela s'appelle l'aurore' de G. Rocha)
Jonathan Rosenbaum, Les formes du sens (Praxis du cinéma de N. Burch)
Marie Anne Guerin, Le recul du 'je' ('Imitation of Life' de R. W. Fassbinder)
Helmut Färber, Le serpent dans la charpente ou la cinématographie entière (Die Rote des Rots von Technicolor de H. Bitomsky)
Fabrice Revault, Bad boy ('En sortant du cinéma' de R. Barthes)
Marcelline Delbecq, Immédiatement le temps pourrait partir dans n'importe quel sens (Sorting Facts : or, Nineteen Ways of Looking at Marker de S. Howe)
Jean-Michel Alberola, Cinquante-huit secondes ('Contre la nouvelle cinéphilie' de L. Skorecki)
Mathieu Macheret, Voyages en cinéma ('13 inédits' de J.-C. Biette)
Adrian Martin, La signification du mouvement ('Days of Heaven' de M. Morris)
Philippe Grandrieux, La voie sombre (Mal vu mal dit de S. Beckett)
Christa Blümlinger, Le livre rouge (Bestandsaufnahme : Utopie Film d'A. Kluge)
Marcos Uzal, Le b.a.-ba ('Une vie recluse en cinéma ou l'échec de Jean Eustache' de B. Amengual)
Dork Zabunyan, Morale modeste, nouvelle critique ('Ginger et Fred' de S. Daney)
Alain Bergala, Laterna magica, laterna lucida (Laterna magica d'I. Bergman)
Serge Daney, Godard, morale, grammaire (préf. de J.-L. Godard pour Le Cinéma français des années 1970 de F. Buache)
Fernando Ganzo, Tout est à revoir (Dictionnaire du cinéma de J. Lourcelles)
Peter Szendy, Le corps clignotant, ou la troisième paupière (En un clin d'oeil. Passé, présent et futur du montage de W. Murch)
Eugène Green, La voix dans le désert (Bresson par Bresson. Entretiens 1943-1983)
Jean-Luc Nancy, Rien sur le cinéma
Mathieu Macheret, Histoire(s) de la violence
Marie Anne Guerin, Les travaux et les jours, les rituels contre le désordre. À propos de Nul n'est une île de Dominique Marchais
Paul Choquet, Memento illam vixisse. Carré 35 d'Éric Caravaca
Sylvie Pierre Ulmann, Mai 67
Brice Matthieussent, Twin Peaks, saison 3 : l'horizon des événements
Zoe Beloff, Twin Peaks : The Retum
Elsa Boyer, L'image de synthèse peut-elle rendre le cinéma cyborg?
Josué Morel, Virtualité réelle. Ready Player One de Steven Spielberg
James Benning, Totality
Marcelline Delbecq, The bubble bursts, the petal falls. Ascent de Fiona Tan
Christophe Atabekian, Solitude et honnêteté. À prpos de Seule sur la plage la nuit et de La Caméra de Claire d Hong Sang-soo
Seijun Suzuki, Neige Pluie Vent
Shiguéhiko Hasumi, Seijun Suzuki, à l'origine de son silence
Mathieu Capel, La peau et les os
Hervé Gauville, L'arche de Noé, 4. Harvey de Henry Koster
Jonathan Rosenbaum, Réflexions sur Complete Film Criticism de James Agee
James Agee, Introduction à A Way of Seing de Helen Levitt
Patrice Rollet, Rue des Masques. In the Street de Helen Levitt, Janice Loeb et James Agee
Bernard Eisenschitz, À Jean-Luc Godard
La Nouvelle Vague, arme et bagage par Gaël Lépingle
Nos démons par Mariano Llinás
El Pampero à l'heure de La flor par Fernando Ganzo
Martín Rejtman, le tact du désespoir par Claire Allouche
L'attente comblée par l'attente par Gabriela Trujillo
Synchronies discrètes par Érik Bullot
« L'histoire du derniers des hommes devenus un roi » par Antony Fiant
André Robillard, en chemin par Henri-François Imbert
Amanda, le hasard et la fragilité par Jacques Bontemps
Photo cinéma, cinéma, photo par Raymond Bellour
Les Coréennes de Chris Marker par Jean-Louis Comolli
Les Âmes mortes de Want Bing par Gilbert Cabasso
The other side of the argument par Jonathan Rosenbaum
L'arche de Noé, 6 par Hervé Gauville
Adapter Melville, porter son ombre par Marie Martin
Les personnages pointillés par Sarah Ohana
La disparition comme forme biographique par Jean-François Chevrier
Marcos Uzal, La foire aux auteurs. Cannes 2019
Anne Bertrand, Voyages en Ghirri
Youssef Ishaghpour, Le peu de réalité de l'image numérique. 24 Frames d'Abbas Kiarostami
Olivier Assayas, Manny Farber : ce qui reste du cinéma
Manny Farber, Des années 1930 aux années 1970. Une conférence au MoMa
Sylvie Pierre Ulmann, Vigo, Luce
Gilbert Cabasso, Cinéma, numérique, survie. Lettre à Jean-Louis Comolli
Raymond Bellour, Avec Christian Metz - deux façons de penser
Guillaume Dulong, Merci. Du ciné-numérique au cinématographe chiffré de La Sapienza d'Eugène Green
Hervé Gauville, L'arche de Noé, 8. Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais
Judith Revault d'Allonnes, Zelimir Zilnik dans le tumulte de l'Histoire
Eugénie Zvonkine, Vers un réel halluciné. Requiem pour un massacre d'Elem Klimov
Elem Klimov, Le Dépassement
Andreï Tarkovski, Le montage
Thomas Lescure, Édith